samedi 21 novembre 2020

La malédiction des Mérieux

 La dynastie des Mérieux, connue dans le monde entier au travers de bioMérieux,est frappée, dix ans après la disparition de Rodolphe dans le crash du vol TWA 800, par la mort foudroyante, à 39 ans, de Christophe, l'héritier désigné. Retour sur une saga à la française.

Lyon


A Lyon, où les Mérieux font partie du décor depuis plus d'un siècle, Christophe n'avait fait sa première apparition officielle qu'il y a un an. Il venait alors de prendre la tête du BioPôle, ensemble destiné à fédérer tous les acteurs oeuvrant dans les biotechnologies. C'était alors un « devoir » pour Christophe Mérieux, 39 ans, disparu brutalement le 14 juillet après un dîner de famille. Une baignade nocturne et solitaire dans la piscine de la propriété lui aura été fatale. Un accident cardiaque probablement favorisé par la canicule.

Héritier d'une longue lignée d'industriels habitués à servir leur ville, Christophe, pour sa première prestation en public, avait paru un peu gauche avec sa large carrure de rugbyman et son timide sourire. Peut-être se sentait-il trop tôt et trop douloureusement confronté à la notoriété, après son retentissant kidnapping en 1975 (il avait alors 9 ans). Depuis, Christophe avait cultivé une discrétion légendaire. En embrassant, dès l'âge de 17 ans, la carrière médicale, il n'avait qu'une ambition, qu'une « vocation » : soigner, servir les autres, à l'hôpital ou, mieux encore, dans les pays en voie de développement.

Pour ce jeune médecin amateur de ski, amoureux du mont Blanc, le destin devait en décider autrement. Il y a dix ans, un drame frappe, déjà, la famille : son frère cadet, Rodolphe, disparaît à l'âge de 27 ans. Il compte parmi les victimes du crash du vol TWA 800 survenu le 17 juillet 1996 au large de New York. Rodolphe ayant été pressenti pour reprendre les rênes de l'entreprise, Christophe est alors appelé par son père, Alain. « Je me destinais à être médecin, je ne pensais pas intégrer un jour le groupe, mais, après le décès de mon frère, je n'aurais pas accepté qu'une autre personne le reprenne » , confiait-il à l'automne dernier. Depuis six ans, il avait renoncé à sa carrière hospitalière pour intégrer bioMérieux. « Aujourd'hui, je ne regrette pas mon choix » , assurait celui qui venait tout juste de réussir l'implantation à Pékin d'une unité mixte de recherche travaillant sur les maladies infectieuses et les pathologies émergentes.

De la soierie à la biochimie.

« Il ressemblait à son grand-père » , lance Thierry Philip, le directeur général du centre Léon-Bérard à Lyon, qui fut aussi son professeur de cancérologie à l'université. « Il me parlait en chef d'entreprise qui développe ses marchés en pensant au Nord, bien sûr. Mais il ne pouvait s'empêcher d'évoquer les relations Nord-Sud, le rôle des vaccins en Afrique. Il avait une vision très humanitaire de son métier. »

La saga des Mérieux, dynastie lyonnaise renommée dans le monde entier, commence à la fin du XIXe siècle, avec Marcel, né en 1870, fils de bourgeois prospérant dans la soierie qui ose enfreindre la tradition familiale pour lui préférer la biochimie. Débuts à l'Institut Pasteur à Paris, puis rapidement le jeune homme inspiré fonde, à Lyon, l'Institut biologique Marcel-Mérieux, laboratoire d'analyses médicales et de recherche sur la tuberculose, qui fait alors des ravages. Après la Première Guerre mondiale, Marcel, pourvu d'une grande moustache noire façon « brigades du Tigre », installe sur un vaste terrain à Marcy-l'Etoile, dans l'Ouest lyonnais, un élevage de chevaux, utilisés dans la fabrication des sérums. Aujourd'hui, les activités de bioMérieux y sont établies, et dans son parc galopent, en mémoire du passé, trois chevaux de bronze. Destin contrarié déjà, Marcel Mérieux, qui avait prévu de passer le relais à son fils aîné Jean, le voit partir prématurément, emporté par une méningite tuberculeuse, contractée dans le laboratoire familial.

C'est donc le cadet, Charles, médecin de formation, qui prend la succession et en assurera, pendant plus d'un quart de siècle, la formidable expansion. « Le Docteur », comme on le surnommera durant toute sa vie, est un véritable visionnaire. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il débordera d'activités : officiellement, l'entreprise est réquisitionnée pour fournir à l'armée des millions de doses de sérum antitétanique. Mais « le Docteur » fournit en douce des sérums pour la Résistance. C'est à cette époque qu'il a l'idée d'installer une partie de ses labos dans le quartier de Gerland à Lyon, et le transporteur lyon à côté des abattoirs, où il trouve de quoi travailler sur la fièvre aphteuse. Aujourd'hui, le quartier, qui longe le Rhône au sud de Lyon, concentre les grands noms mondiaux de la santé.

La géniale découverte de la culture in vitro fera entrer la fabrication des vaccins dans l'ère industrielle. Une révolution qui permettra d'enrayer épizooties et épidémies sur l'ensemble de la planète : la poliomyélite, la rage, la rubéole, la méningite... La méningite a d'ailleurs marqué l'histoire de l'entreprise lorsque, en 1974, il s'est agi d'augmenter la capacité de l'institut pour enrayer une épidémie qui décimait le Brésil. Dans les couloirs de bioMérieux, à Marcy, sont encore exposés les souvenirs en noir et blanc de cette campagne de vaccination : des files interminables de Brésiliens vaccinés au pistolet. L'opération, menée en neuf mois, fut un succès :100 millions de Brésiliens vaccinés.

C'est encore Charles qui lancera la fondation Mérieux, destinée à favoriser la recherche dans les pays en voie de développement, mais également Bioforce, une école de formation d'intervenants humanitaires, et à la fin de sa vie le laboratoire de haute sécurité P4, basé lui aussi à Gerland.

Mais comme à la génération précédente, le destin devait encore frapper. Charles, qui s'était entouré de ses deux fils, Alain et Jean, voit disparaître ce dernier en 1994, dans un accident de la route. Seul aux commandes, Alain, « le pharmacien », qui créera bioMérieux, spécialisé dans le diagnostic in vitro, est celui qui fera entrer le groupe familial dans l'ère des grandes manoeuvres financières. BioMérieux, le leader mondial du diagnostic in vitro, toujours aux mains de la famille, en sort renforcé, mais l'Institut Mérieux, lui, tombe dans le giron de Rhône-Poulenc (Sanofi). La production des vaccins lui échappe désormais totalement.

Appelée à jouer son rôle dans la vie publique, la famille Mérieux ne s'y frottera que modérément. Trop timidement au goût de Charles Mérieux qui, gaulliste de toujours, puis très proche de Jacques Chirac - après que celui-ci, Premier ministre, eut favorisé le versement de la rançon réclamée par les ravisseurs de son petit-fils Christophe -, a tenu les cordons de la bourse du RPR comme trésorier. Son fils Alain, allié à une autre grande héritière lyonnaise, Chantal Berliet, la fille de Paul, constructeur de camions, se lancera dans l'arène politique à Lyon derrière Michel Noir, puis derrière Charles Millon à la région Rhône-Alpes.

Retiré de la scène politique, qu'il n'affectionnait finalement guère, Alain Mérieux, 68 ans, actuel PDG de bioMérieux, s'apprêtait à passer le flambeau de l'entreprise à son fils Christophe dans l'année qui vient, après lui en avoir confié la direction recherche et développement, ainsi que les commandes de sa filiale Transgène. La brutale disparition de Christophe bouscule tout. Drame dans le drame : la famille s'était réunie dans sa propriété de l'Ain pour commémorer la disparition de Rodolphe...

Il ne reste plus qu'un seul successeur possible si la famille veut conserver la main sur le groupe : Alexandre, 32 ans, le plus jeune des trois frères, qui vient de faire ses premiers pas dans la galaxie familiale en entrant au conseil d'administration de bioMérieux. Pour que la saga continue.


Incontournable...


BioMérieux (5 500 salariés), présent dans 130 pays, va bien : son résultat net atteint 90 millions d'euros en 2005 pour un chiffre d'affaires frôlant le milliard d'euros ! La majorité du capital (58,9 %) de BioMérieux - introduit en Bourse en 2004 - est encore détenue par la famille. Le groupe réalise 13 % de ses ventes dans le diagnostic clinique et dans les contrôles de qualité microbiologique industriels, alimentaires, cosmétiques et pharmaceutiques. Mais le gros (87 %) du chiffre d'affaires provient des diagnostics cliniques comme les tests sur le sida en temps réel ou le kit de détection de la grippe aviaire en moins de deux heures... Le marché du diagnostic augmente de 5 % par an. « Il va devenir incontournable dans l'industrie pharmaceutique, expliquait récemment Alain Mérieux, comme le fut le marché des vaccins.

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